Évaluation et Rapport de situation du COSEPAC sur la Chauve-souris blonde (Antrozous pallidus) au Canada - 2000

Illustration d'une chauve-souris blonde (Antrozous pallidus).

Menacée – 2000

Information sur le document

Liste des figures


COSEPAC – Comité sur la situation des espèces en péril au Canada

Les rapports de situation du COSEPAC sont des documents de travail servant à déterminer le statut des espèces sauvages que l’on croit en péril. On peut citer le présent rapport de la façon suivante :

Nota : Toute personne souhaitant citer l’information contenue dans le rapport doit indiquer le rapport comme source (et citer les auteurs); toute personne souhaitant citer le statut attribué par le COSEPAC doit indiquer l’évaluation comme source (et citer le COSEPAC). Une note de production sera fournie si des renseignements supplémentaires sur l’évolution du rapport de situation sont requis.

COSEPAC. 2000. Évaluation et Rapport de situation du COSEPAC sur la chauve–souris blonde (Antrozous pallidus) au Canada. – Mise à jour. Comité sur la situation des espèces en péril au Canada. Ottawa. v + 21 p.

WILLIS, C. R., et M. L. BAST. 2000. Rapport de situation du COSEPAC sur la chauve–souris blonde (Antrozous pallidus) au Canada – Mise à jour, in Évaluation et Rapport de situation du COSEPAC sur la chauve–souris blonde (Antrozous pallidus) au Canada – Mise à jour. Comité sur la situation des espèces en péril au Canada. Ottawa. Pages 1–19.

Rapport(s) précédent(s) :

BALCOMBE, J. P. 1988. COSEWIC status report on the Pallid Bat Antrozous pallidus in Canada. Comité sur le statut des espèces menacées de disparition au Canada. Ottawa. 16 p.

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Illustration/photo de la couverture :
Chauve–souris blonde – Judie Shore, Richmond Mill (Ontario).

© Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2011.
No de catalogue CW69–14/243–2002F–IN
ISBN 0–662–87857–4


Sommaire de l'évaluation – Mai 2001

Nom commun
Chauve–souris blonde

Nom scientifique
Antrozous pallidus

Statut
Menacée

Justification de la désignation
Très faible répartition; une grande partie de l'habitat d'alimentation a été détruit par le développement agricole et urbain, et la perte de son habitat persiste. L'effet de secours est possible provenant des populations adjacentes de l'État de Washington.

Répartition
Colombie–Britannique

Historique du statut
Espèce désignée « préoccupante » en avril 1988. Réexamen du statut : l'espèce a été désignée « menacée » en mai 2000.

Au Canada, la chauve–souris blonde (Antrozous pallidus) n'est présente que dans l'extrême–sud de la vallée de l'Okanagan, en Colombie–Britannique. Cette espèce particulière, commune et largement répandue dans les régions arides et semi–arides du Sud–Ouest des États–Unis, est rare au Canada, notamment parce que le Sud de la vallée de l'Okanagan constitue la limite septentrionale de son aire de répartition, et que le climat, l'habitat d'alimentation et les gîtes peuvent ne pas y être optimaux. Cependant, certaines perturbations anthropiques, entraînant notamment la dégradation de l'habitat et peut–être la bioaccumulation de pesticides, peuvent aussi contribuer à la rareté de l'espèce au Canada. Comme les parcs et les réserves écologiques, constituant des zones protégées, occupent très peu d'espace dans le sud de la vallée de l'Okanagan, les facteurs anthropiques peuvent dans cette région avoir sur l'espèce des effets néfastes très marqués. On sait relativement peu de choses sur l'A. pallidus au Canada, et il faudra pousser les recherches avant qu'un plan de gestion ou de protection puisse être mis en œuvre. Cependant, selon des résultats récents, la présence d'une population reproductrice semble actuellement beaucoup plus probable qu'au moment de la rédaction du premier rapport du COSEPAC sur la situation de l'espèce (Balcombe, 1988).

Mandat du COSEPAC
Le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada (COSEPAC) détermine la situation, à l'échelle nationale, des espèces, sous-espèces, variétés et populations (importantes à l'échelle nationale) sauvages jugées en péril au Canada. Les désignations peuvent être attribuées aux espèces indigènes des groupes taxinomiques suivants : mammifères, oiseaux, amphibiens, reptiles, poissons, mollusques, lépidoptères, plantes vasculaires, lichens et mousses.

Composition du COSEPAC
Le COSEPAC est formé de représentants des organismes provinciaux et territoriaux responsables des espèces sauvages, de quatre organismes fédéraux (Service canadien de la faune, Agence Parcs Canada, ministère des Pêches et des Océans et Partenariat fédéral en biosystématique) et de trois organismes non gouvernementaux, ainsi que des coprésidents des groupes de spécialistes des espèces. Le Comité se réunit pour examiner les rapports sur la situation des espèces candidates.

Définitions

Espèce
Toute espèce, sous-espèce, variété ou population indigène de faune ou de flore sauvage géographiquement définie.

Espèce disparue (D)
Toute espèce qui n'existe plus.

Espèce disparue du Canada (DC)
Toute espèce qui n'est plus présente au Canada à l'état sauvage, mais qui est présente ailleurs.

Espèce en voie de disparition (VD)
Toute espèce exposée à une disparition ou à une extinction imminente.

Espèce menacée (M)
Toute espèce susceptible de devenir en voie de disparition si les facteurs limitants auxquels elle est exposée ne sont pas inversés.

Espèce préoccupante (P)*
Toute espèce qui est préoccupante à cause de caractéristiques qui la rendent particulièrement sensible aux activités humaines ou à certains phénomènes naturels.

Espèce non en péril (NEP)**
Toute espèce qui, après évaluation, est jugée non en péril.

Données insuffisantes (DI)***
Toute espèce dont le statut ne peut être précisé à cause d'un manque de données scientifiques.

* Appelée « espèce rare » jusqu'en 1990, puis « espèce vulnérable » de 1990 à 1999.
** Autrefois « aucune catégorie » ou « aucune désignation nécessaire »
*** Catégorie « DSIDD » (données insuffisantes pour donner une désignation) jusqu'en 1994, puis « indéterminé » de 1994 à 1999.

Le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada (COSEPAC) a été créé en 1977, à la suite d'une recommandation faite en 1976 lors de la Conférence fédérale-provinciale sur la faune. Le Comité avait pour mandat de réunir les espèces sauvages en péril sur une seule liste nationale officielle, selon des critères scientifiques. En 1978, le COSEPAC (alors appelé CSEMDC) désignait ses premières espèces et produisait sa première liste des espèces en péril au Canada. Les espèces qui se voient attribuer une désignation au cours des réunions du comité plénier sont ajoutées à la liste.

Le Service canadien de la faune d'Environnement Canada assure un appui administratif et financier complet au Secrétariat du COSEPAC.


Mise à jour – Rapport de situation du COSEPAC sur la Chauve–souris blonde Antrozous pallidus au Canada – 2000.

La chauve–souris blonde (Antrozous pallidus, Chiroptères : Vespertilionidés) est présente partout dans les régions arides et semi–arides de l'Ouest de l'Amérique du Nord, depuis le Mexique jusqu'à la vallée de l'Okanagan dans le Centre–Sud de la Colombie–Britannique. Cette espèce particulière est l’une des plus grosses chauves–souris nord–américaines, et la plus imposante au Canada, avec un poids de 12 à 24,3 g et une envergure de 310 à 370 mm (Nagorsen et Brigham, 1993). Elle se caractérise par ses grands yeux et ses énormes oreilles, ainsi que par son pelage court de couleur pâle passant d'un brun jaunâtre sur le dos à une teinte crème sur le ventre. À la différence de la plupart des chauves–souris nord–américaines, la chauve–souris blonde a l'habitude de capturer des arthropodes au sol, qu'elle transporte ensuite souvent dans un gîte nocturne où elle peut en détacher les parties non comestibles avant de se nourrir. Elle s'alimente de divers arthropodes, notamment de scorpions (Edwards, 1974), de coléoptères et de papillons de nuit (Hermanson et O’Shea, 1983), mais aussi d'autres types de proies. On a même déjà signalé la capture d'une souris à abajoues (Perognathus flavus) de 7 à 10 g (Bell, 1982).

Balcombe (1988) a proposé au COSEPAC que l'A. pallidus soit désigné vulnérable[1], en raison de sa présence sporadique au Canada, qu'il attribuait principalement au fait que la vallée de l'Okanagan se trouve à la limite septentrionale de l'aire de répartition de l'espèce, ainsi qu’à certains facteurs limitatifs anthropiques. Selon cet auteur, ce sont surtout l'agriculture et l'exploitation forestière qui pouvaient mettre la population de la vallée de l'Okanagan en péril, directement par de la perturbation de son habitat, et indirectement, par la bioaccumulation des pesticides largement utilisés dans les cultures fruitières, qui constituent la plus grande partie de l'activité agricole dans la région. Par contre, l'exploitation forestière pourrait n'avoir qu'une faible incidence sur les chauves–souris blondes, parce qu'elle s’effectue à des altitudes relativement élevées, soit au–delà de la zone de 300 à 490 m dans laquelle l'espèce a été observée en Colombie–Britannique (Nagorsen et Brigham, 1993; Brigham, comm. pers.)

Avant 1988, la présence de l'A. pallidus dans le sud de la vallée de l'Okanagan n'avait été signalée que six fois (p. ex. Racey, 1933; Anderson, 1946; Fenton, 1980), et une tentative infructueuse de l'y repérer en 1986 (Fenton et al., 1987) a incité Balcombe (1988) à penser que les observations antérieures pourraient n'avoir été attribuables qu'à des incursions de chauves–souris blondes provenant d'une population établie au sud de la frontière canado–américaine. L'incertitude quant à la présence d'une population résidante au Canada était d'autant plus forte que, même dans le Sud–Ouest des États–Unis, où l'espèce est pourtant abondante, la taille des populations était mal estimée jusqu'en 1988.

Aucune preuve d’un changement de l'aire de répartition de l'A. pallidus au Canada et aux États–Unis après 1988 n'a été présentée, mais les études sur le terrain réalisées depuis 1988 dans la vallée de l'Okanagan par Collard et Grindal, Chapman et McGuiness, ainsi que Barclay et ses étudiants portent fortement à croire à la présence d'une population résidante dans le Centre–Sud de la Colombie–Britannique. Par ailleurs, rien n'indique que ces animaux seraient isolés des populations de chauves–souris blondes de l’État de Washington, au sud, et du reste de l'aire de répartition nord–américaine de l'espèce, indiquée à la figure 1.

Figure 1. Répartition nord–américaine de la chauve–souris blonde (Antrozous pallidus) (tiré de Grindal et al., 1991). Carte de la répartition nord–américaine de la chauve–souris blonde.

Carte de la répartition nord-américaine de la chauve-souris blonde.

Les endroits où ont été signalées des chauves–souris blondes sont indiqués à la figure 2. Depuis la première mention de l'A. pallidus dans le Sud de la vallée de l'Okanagan, en 1931, on n'a capturé ou recueilli des spécimens dûment identifiés que 28 fois. La taille de l'aire de répartition au Canada est difficile à évaluer parce que les régions où l'espèce peut être présente n'ont pas toutes fait l’objet d’un relevé de même intensité, mais elle est probablement de 150 à 500 km².

Figure 2. Emplacements des mentions de l’Antrozous pallidus au Canada. Chaque point blanc représente une femelle capturée, et chaque point gris, un mâle capturé. L’épaisse ligne noire représente la frontière de la réserve indienne d’Inkaneep. Les points ont été placés avec le plus de précision possible, compte tenu des contraintes d’espace. Dans les cas de recapture, la capture et la recapture sont indiquées par un même point (d’après Chapman et al., 1994).

Carte illustrant les emplacements où  des chauves-souris blondes ont été signalées au Canada.

La plupart des captures de chauves–souris blondes ont été réalisées entre le lac Vaseux et Osoyoos, surtout sur la réserve indienne d’Inkaneep, peut–être parce que les activités d’expansion y ont été à ce jour moins importantes que dans le reste de la vallée de l’Okanagan (Chapman et al., 1994), mais rien de probant ne permet de corroborer cette hypothèse. Selon les observations visuelles, les cris d’orientation (audibles pour l’homme et servant de signaux de communication intraspécifiques [Brown, 1976]), et les captures (six mâles reproducteurs et un mâle non reproducteur) en 1991, Chapman et al. (1994) ont estimé qu’il y avait au moins 12 chauves–souris blondes résidantes sur la réserve d’Inkaneep. Il est intéressant de constater que, lors de leurs relevés des oreillards maculés (Euderma maculatum) dans la vallée voisine de la Similkameen, ils n’ont capturé, vu ni entendu aucune chauve–souris blonde. Toutefois, ce travail était probablement insuffisant pour conclure avec certitude à l’absence de l’espèce dans cette vallée (Brigham, comm. pers.) Cependant, le fait qu’on n’y ait pas observé de chauve–souris blonde pourrait s’expliquer en partie par l’absence d’habitats d’alimentation et de reproduction de haute qualité dans la vallée de la Similkameen, révélée par un modèle récent d’évaluation de l’environnement de la Colombie–Britannique (Robertson, 1998; figure 3; et voir plus bas).

Figure 3. Carte de la qualité de l’habitat de l’Antrozous pallidus dans le Sud de la vallée de l’Okanagan.

Carte illustrant la  qualité de l’habitat de la chauve-souris blonde dans le Sud de la vallée de  l’Okanagan.

L’A. pallidus est rare et réparti extrêmement localement en Colombie–Britannique, mais il est commun dans une grande partie de son aire de répartition, particulièrement dans le Sud–Ouest des États–Unis. Une seule capture sur 28 a été réalisée sur des terres protégées (soit la réserve faunique du lac Vaseux; Robertson, 1998), et les parcs et les réserves écologiques, territoires jouissant d’une protection juridique, n’occupent que 1 p. 100 de la région de l’Okanagan (Durance, 1992). Le plateau d’Inkaneep, où les taux de capture de l’espèce ont été les plus élevés, se trouve sur la réserve d’Inkaneep, où le risque de dégradation de l’habitat lié aux activités d’expansion a été dans le passé moins important que dans le reste de la région (Chapman et al., 1994). Cependant, on a récemment entrepris de convertir en vignobles certains pâturages de la réserve, ce qui rétrécira probablement l’habitat d’alimentation de la chauve–souris blonde (Brigham, comm. pers.), et la construction projetée d’un hôtel–casino assorti de condominiums (Bailey, 1995) pourrait aussi perturber l’habitat de cette espèce (Nagorsen, comm. pers.)

Dans le Sud–Ouest des États–Unis, où l’espèce est abondante, aucun changement positif ou négatif dans les paramètres démographiques n’a été signalé depuis 1988. Par ailleurs, les données directes sur la structure et la dynamique de la population de l’A. pallidus au Canada demeurent elles aussi limitées. Selon le British Columbia Conservation Data Centre, sa population serait de seulement 1 000 individus par 800 hectares, ou sur 15 km le long de la rivière, et il pourrait même s’agir là d’une estimation généreuse. D’après des travaux récemment effectués sur le terrain, l’hypothèse de Balcombe (1998), selon laquelle les chauves–souris blondes observées au Canada ne seraient en fait que des individus errants provenant d’une population américaine, semble improbable. Dans le cadre de relevés effectués l’été en 1990, en 1991 et en 1993, on a réalisé un certain nombre de captures et d’observations visuelles et auditives, trouvé des gîtes diurnes (figure 4) et nocturnes, ainse que des aires d’alimentation de choix dans le sud de la vallée de l’Okanagan (Collard et al., 1990; Grindal et al., 1991; Chapman et al., 1994; Barclay, données inédites). Grindal et al. (1991) et Chapman et al. (1994) attribuent entièrement cet accroissement des observations à l’échantillonnage, plus intense et plus efficace, et non pas à une augmentation de la taille de la population.

Bien que la présence d’une population de chauves–souris blondes dans la vallée de l’Okanagan semble aujourd’hui assurée, on ne sait pas très bien dans quelle mesure elle se reproduit. Soixante–quinze pour cent (21 mâles : 7 femelles) des chauves–souris blondes capturées à ce jour étaient des mâles, ce qui laisse croire que la reproduction pourrait être limitée au Canada. Cependant, certaines observations récentes semblent confirmer l’existence d’une population reproductrice. Premièrement, l’usure des dents de certains mâles et de certaines femelles capturés (Sarell, données inédites; Barclay, données inédites) suggère que ces animaux sont relativement âgés et ne seraient donc pas des juvéniles dispersants ou des jeunes d’un an provenant des États–Unis (Barclay, comm. pers.) Deuxièmement, et fait convaincant, à l’été 1990, Grindal et al. (1991) ont capturé un mâle aux testicules gonflés, une femelle juvénile et une femelle lactante, d’où leur conclusion qu’une population reproductrice semble bel et bien présente. De plus, comme ces captures ont toutes été réalisées à plus de 10 km l’une de l’autre, ces mêmes auteurs (1991) ont formulé l’hypothèse qu’il pourrait y avoir au moins trois pouponnières dans le sud de la vallée de l’Okanagan. Enfin, on a capturé plus récemment, soit en juillet 1997, deux femelles lactantes au lac Gallagher; il s’agit là des deux dernières captures de chauves–souris blondes au Canada (Sarell, comm. pers.) Ainsi, d’après les données disponibles, il semble aujourd’hui probable qu’il y ait des femelles qui se reproduisent au Canada, même si elles paraissent moins nombreuses que les mâles. Comme le sud de la vallée de l’Okanagan se trouve à la limite septentrionale de l’aire de répartition de l’espèce, il se pourrait que les conditions y soient telles que les femelles ne peuvent s’y trouver en aussi grand nombre que les mâles. Ainsi, le fait pour une population reproductrice de se trouver à la limite géographique de tolérance de l’espèce pourrait avoir pour conséquence naturelle une plus forte proportion de mâles.

Figure 4. Gîtes diurnes (points gris) fréquentés par des Antrozous pallidus mâles munis d’un radioémetteur dans la vallée de l’Okanagan durant l’été de 1991. L’épaisse ligne noire représente la frontière de la réserve indienne d’Inkaneep (d’après Chapman et al., 1994).

Carte illustrant les gîtes diurnes fréquentés par des chauves-souris  blondes mâles munis d’un radioémetteur dans la vallée de l’Okanagan durant  l’été de 1991.

Cette plus forte proportion de mâles pourrait s’expliquer par la ségrégation sexuelle, phénomène comportemental qui a déjà été observé dans certaines populations de chauves–souris blondes (Nagorsen et Brigham, 1993). Lors d’une étude sur l’A. pallidus réalisée en Oregon, les mâles et les femelles n’ont pas été capturés dans les mêmes régions, et on peut penser que, dans le nord de l’aire de répartition de l’espèce, il y aurait ségrégation sexuelle (Lewis, comm. pers.), ce qui pourrait être le cas en Colombie–Britannique. Ainsi, toutes les chauves–souris blondes (14/14) capturées dans le secteur du lac Waterdog et sur le plateau d’Inkaneep étaient des mâles, tandis que toutes celles (3/3) capturées au lac Gallagher, au nord, et 50 p. 100 (6/12) de celles capturées à la frontière de la réserve et plus au nord étaient des femelles (voir la figure 2). Il se pourrait que les femelles ne puissent occuper que certains secteurs en raison de leurs besoins énergétiques pour l’élevage des jeunes, tandis que les mâles réduiraient la concurrence avec les femelles en évitant généralement ces secteurs. Le modèle de qualité de l’habitat (Robertson, 1988; figure 3; voir sous « Habitat », plus bas) va dans le sens de cette hypothèse et fait ressortir la disponibilité relative d’habitats de reproduction de haute qualité tout près des lacs Vaseux et Gallagher.

Il est particulièrement intéressant de constater que toutes les captures de femelles, sauf une, ont été réalisées dans la moitié nord de l’aire connue de l’espèce dans la vallée de l’Okanagan. Intuitivement, on aurait pu s’attendre à ce que les femelles vivent plus au sud, et même du côté américain, où les températures plus élevées faciliteraient l’élevage des jeunes, tandis que les mâles toléreraient mieux les conditions plus rudes existant à la limite septentrionale de l’aire de répartition. Cette anomalie apparente laisse croire que certains facteurs autres que le climat, très probablement la disponibilité des gîtes de pouponnière, influeraient sur la répartition des femelles dans la région, et que ce serait peut–être surtout au lac Gallagher et plus au nord qu’elles peuvent trouver des gîtes de pouponnière convenables. Une fois de plus, le modèle de qualité de l’habitat (Robertson, 1998; figure 4) va dans le sens de cette hypothèse, c’est–à–dire qu’il met en évidence la présence d’habitats de reproduction de haute qualité relativement abondants dans les secteurs des lacs Vaseux, Gallagher et Skaha. Par ailleurs, les secteurs de la réserve d’Inkaneep renfermant des habitats favorables aux chauves–souris blondes, particulièrement ceux situés à proximité du lac Waterdog, ont fait l’objet d’un échantillonnage plus intense que le reste de la vallée de l’Okanagan (Chapman et al. 1994), ce qui pourrait en partie expliquer la plus forte proportion de mâles mesurée dans la population. Pour en savoir plus sur la reproduction de l’A. pallidus au Canada, on devra intensifier les travaux de relevés par radiotélémétrie, particulièrement dans la région du lac Gallagher et du canyon Vaseux, ainsi que dans d’autres secteurs se trouvant à l’extérieur de la réserve d’Inkaneep.

De façon générale, la chauve–souris blonde vit dans des déserts arides à semi–arides où les précipitations annuelles moyennes sont de 200 à 375 mm et les températures estivales, élevées (maximums quotidiens pouvant atteindre 38 C) (Vaughn et O’Shea, 1976). En Colombie–Britannique, l’espèce semble ne vivre que dans le fonds de vallées, à une altitude de 300 à 490 m (Nagorsen et Brigham, 1993).

Robertson (1998; figure 4) a récemment modélisé la disponibilité et la qualité des habitats de reproduction et des gîtes dans la plus grande partie du sud de la vallée de l’Okanagan. Son modèle classe les écosystèmes gérés (p. ex. pâturages, vignobles, terrains de golf) et non gérés (p. ex. steppe arbustive, prairie sèche, forêt sèche, milieux humides) de la région en fonction de divers habitats critiques et de besoins vitaux. Les habitats de reproduction et les gîtes diurnes (p. ex. crevasses rocheuses horizontales dans les falaises abruptes, les parois de canyons, les affleurements rocheux et les talus d’éboulis) sont considérés comme pratiquement identiques et hautement prioritaires pour l’espèce, alors que l’habitat d’alimentation, également pris en compte dans le modèle, est considéré comme moins limitatif (Robertson, 1988).

Aux fins du présent rapport, les besoins de l’A. pallidus en matière d’habitat sont examinés pour les trois principaux types suivants : 1. habitat d’alimentation; 2. gîte diurne; 3. gîte nocturne. L’habitat d’hibernation n’est pas considéré ici parce qu’on ne dispose d’aucune donnée sur l’hibernation des chauves–souris blondes dans la vallée de l’Okanagan ni d’aucune observation hivernale pour cette espèce (Nagorsen et Brigham, 1993).

La chauve–souris blonde utilise la plupart du temps l’écholocation passive pour repérer ses proies (habituellement terrestres), qu’elle glane au sol et consomme ultérieurement en vol ou dans un gîte nocturne (Bell, 1982; Fuzessery et al., 1993). Cette stratégie d’alimentation fait qu’elle doit passer un certain temps au sol. En captivité, on a vu des chauves–souris capturer des proies après de longues poursuites terrestres (Fuzessery et al., 1993). Ces séjours au sol présentent certaines difficultés, particulièrement pour cette grosse chauve–souris dont la charge alaire (masse corporelle/surface des ailes) relativement élevée rend le décollage ardu (Fenton, 1990), et supposent semble–t–il un accès à des habitats d’alimentation dégagés et non encombrés. De fait, Bell (1982) a signalé que l’A. pallidus préfère nettement s’alimenter en terrain dégagé à végétation éparse et, dans la vallée de l’Okanagan, Chapman et al. (1994) ont observé que les chauves–souris blondes s’alimentaient surtout dans des peuplements d’armoises ouverts ou des prairies clairsemées où poussent ça et là des pins ponderosa. Ce type d’habitat est commun dans les régions non perturbées de la vallée de l’Okanagan, mais est de plus en plus menacé par l’agriculture et l’expansion urbaine (Bailey, 1995; Sarell, comm. pers.) Comme l’A. pallidus ne fréquente pas les zones encombrées ou à végétation dense (Bell, 1982), l’accroissement de la fruiticulture et l’expansion urbaine auront probablement une incidence négative sur l’espèce en réduisant l’habitat d’alimentation disponible.

Le broutage par le bétail pourrait cependant offrir des avantages aux chauves–souris blondes, car il a pour effet de dégager l’habitat d’alimentation et d’accroître la densité des gros coléoptères associés aux excréments (p. ex. de la famille des Silphidés; Chapman et al., 1994), qui sont des proies courantes de l’espèce (Grindal et al., 1991). Jusqu’à récemment, l’exploitation des pâturages constituait l’activité agricole la plus commune sur la réserve d’Inkaneep, ce qui pourrait y expliquer l’abondance relativement élevée de l’A. pallidus. Par contre, le pâturage peut réduire la densité et la diversité globales des arthropodes et, s’il nécessite la coupe d’arbres, les chauves–souris blondes pourraient manquer de gîtes nocturnes (voir plus bas). Selon le modèle de qualité de l’habitat de Robertson (1998; figure 3), l’A. pallidus peut trouver dans la vallée de l’Okanagan beaucoup plus d’habitats de haute qualité pour son alimentation que pour sa reproduction.

Les récents travaux de Lewis (p. ex. 1993, 1994, 1996) sur l’écologie de l’utilisation par l’A. pallidus de ses gîtes diurnes et nocturnes sont ici particulièrement pertinents parce qu’ils ont trait aux populations de l’Oregon. Intuitivement, on peut penser qu’une population canadienne de chauves–souris blondes devrait avoir des besoins en matière d’habitat, de même qu’un profil génétique, probablement plus semblables à ceux des populations du Nord des États–Unis qu’à ceux des populations du Sud, qui ont à ce jour été les plus étudiées.

Durant le jour, l’Antrozous pallidus gîte habituellement dans des escarpements ou des crevasses rocheuses, et souvent aussi dans des immeubles et sous des ponts (Vaughan et O’Shea, 1976). Lewis (1996) a observé que les chauves–souris blondes sont peu fidèles à leurs gîtes diurnes, et que leurs changements de gîtes sur de courtes périodes sont corrélés plus fortement avec leur charge individuelle en ectoparasites qu’avec les caractéristiques physiques ou climatiques des gîtes. Cependant, à long terme, l’A. pallidus préfère gîter derrière des dalles de pierre peu épaisses durant les mois les plus froids et dans des crevasses profondes au coeur de l’été.

Seulement trois gîtes diurnes de chauves–souris blondes ont été repérés dans la vallée de l’Okanagan et, à ce jour, aucune pouponnière n’a été trouvée. Ces trois gîtes ont été localisés par radiotélémétrie dans la réserve indienne d’Inkaneep et se trouvaient en hauteur dans des escarpements (Chapman et al., 1994). Par rapport aux deux autres types d’habitat de la chauve–souris blonde, les gîtes diurnes existants pourraient être relativement protégés des perturbations anthropiques dans la vallée de l’Okanagan, étant donné qu’ils sont inaccessibles et que l’espèce ne semble pas être tellement dérangée par la présence d’êtres humains à proximité de ces gîtes (Lewis, 1996). L’escalade, activité récréative de plus en plus populaire dans la région, peut cependant constituer une menace du fait que les grimpeurs peuvent approcher très près des ouvertures des gîtes.

La disponibilité des gîtes naturels peut constituer un facteur limitatif naturel pour diverses espèces de chauves–souris (Humphrey 1975) et, bien que les gîtes diurnes existants se trouvent relativement bien protégés, le modèle de qualité de l’habitat de Robertson (1998; figure 4) indique que les gîtes diurnes (où l’espèce se reproduit) de haute qualité sont très rares dans la vallée de l’Okanagan et constituent presque certainement le plus limitatif des trois types d’habitat. Le modèle tient compte du fait que les chauves–souris blondes préfèrent les gîtes situés très près d’habitats d’alimentation de haute qualité (c.–à–d. à moins de 8 km), paramètre important particulièrement là où les habitats d’alimentation se trouvant à proximité de gîtes potentiels sont perturbés par les activités d’expansion. De plus, comme les gîtes de pouponnière favorables sont relativement rares dans la région, on peut conclure que les activités humaines dans les gîtes diurnes mêmes ou à proximité, ainsi que dans les habitats d’alimentation environnants peuvent influer grandement sur la disponibilité et la fréquentation de ces gîtes. Des études télémétriques devront être réalisées pour trouver et protéger les gîtes.

Bien qu’ils ne soient pas considérés dans le modèle de qualité de l’habitat, les besoins de l’A. pallidus en matière de gîte nocturne pourraient être plus importants pour l’espèce qu’on ne l’a supposé jusqu’à maintenant. Lewis (1994) a signalé qu’en Oregon, les chauves–souris blondes sont remarquablement fidèles à leurs gîtes nocturnes tant en cours d’année que d’une année à l’autre, même après avoir été capturées et recapturées dans un même gîte. Dans la partie septentrionale de son aire de répartition, l’A. pallidus adopte des gîtes nocturnes comprenant des ponts et des saillies rocheuses (Lewis,1994) et passe également souvent la nuit dans diverses structures artificielles, comme des mines abandonnées et des bâtiments ouverts (Collard, 1990). Dans la vallée de l’Okanagan, les seuls gîtes nocturnes repérés étaient des pins ponderosa vivants (Chapman et al. 1994). Les gîtes nocturnes observés par Lewis (1994) se trouvaient le plus souvent sous des ponts et différaient des gîtes diurnes, car ils étaient suffisamment dégagés et accessibles pour que les chauves–souris puissent s’y rendre et les quitter en volant librement et sans avoir à ramper.

Des observations récentes portent à croire que les gîtes nocturnes pourraient avoir une fonction sociale chez cette espèce. Lewis (1994) a mesuré, entre la sortie des gîtes diurnes et l’entrée dans les gîtes nocturnes (±10 min), un intervalle de temps trop court pour permettre toute alimentation. Elle a aussi observé que souvent, les chauves–souris arrivaient aux gîtes nocturnes et les quittaient en groupes. Elle a avancé que la socialité au gîte nocturne pourrait offrir deux avantages : l’échange d’information concernant les meilleurs sites d’alimentation et la formation de groupes pour la recherche de nourriture. Bell (1982) a régulièrement observé jusqu’à 15 chauves–souris convergeant sur des proies communes sans interaction agonistique, ce qui laisse croire à la possibilité d’une certaine forme d’alimentation en groupe fondée ou renforcée au gîte nocturne.

Si la socialité au gîte nocturne aide l’A. pallidus à s’alimenter, le type de gîtes nocturnes utilisé par l’espèce au Canada pourrait être un facteur limitatif, tous les gîtes nocturnes repérés au Canada étant des pins ponderosa vivants (Chapman et al., 1994). L’espèce est très fidèle à ses gîtes nocturnes (Lewis, 1994), ce qui laisse penser que des caractéristiques rendent certains gîtes nocturnes potentiels plus attrayants que d’autres. Les gîtes choisis sont aussi exposés à des perturbations anthropiques et naturelles dans la vallée de l’Okanagan, les arbres pouvant facilement y être détruits par des phénomènes naturels (tempêtes, incendies, etc.) ainsi que par l’expansion urbaine ou agricole.

Les gîtes nocturnes de l’A. pallidus sont facilement repérables par les accumulations de déjections et les restes non comestibles d’insectes qui s’y trouvent. Ils peuvent donc constituer un indicateur important pour les relevés effectués dans les parties septentrionales de l’aire de répartition de l’espèce (Lewis, 1994). La réalisation d’études radiotélémétriques sur l’utilisation des gîtes nocturnes des chauves–souris blondes au Canada devrait être considérée comme prioritaire pour cette espèce.

En plus de l’écologie de l’exploitation des gîtes, un autre aspect important de la biologie de l’A. pallidus a été bien étudié depuis la publication en 1988 du premier rapport du COSEPAC sur la situation de cette espèce. L’étude des effets de la variation du climat sur divers aspects de la reproduction, réalisée en Oregon par Lewis (1993), est particulièrement pertinente pour les populations septentrionales de chauves–souris blondes. Avant cette étude, on ne savait pas si les chauves–souris qui s’alimentent au sol font face aux mêmes problèmes énergétiques que les insectivores aériens pour ce qui est de l’utilisation de l’hétérothermie (torpeur) durant la gestation et la lactation. En comparant des chauves–souris capturées durant un printemps relativement frais à d’autres capturées durant un printemps normal, Lewis (1983) a montré que, les années où il faisait plus froid, les femelles mettaient bas près d’un mois plus tard et moins synchroniquement, et avaient une masse corporelle moins élevée durant la lactation. En outre, un plus fort pourcentage de femelles ne se reproduisaient pas. Ces observations ont des incidences importantes quant à la stabilité d’une population d’A. pallidus au Canada, où les chauves–souris se trouvent très probablement régulièrement exposées à de basses températures frisant leur seuil de tolérance.

Les températures relativement basses et la variation climatique intersaisonnière pourraient expliquer la rareté et la sporadicité des captures de femelles et de chauves–souris qui se reproduisent et de femelles dans la vallée de l’Okanagan. Cependant, comme les chauves–souris vivent généralement très longtemps, la variation interannuelle du taux de reproduction n’empêche pas nécessairement le maintien d’une population reproductrice stable. Une femelle qui ne réussit pas à se reproduire une année froide peut avoir d’assez bonnes chances de survivre pour se reproduire une année plus chaude.

Les chauves–souris peuvent être touchées par plusieurs facteurs naturels au Canada. La vallée de l’Okanagan constituant la limite septentrionale de l’aire de répartition de l’espèce, les basses températures peuvent y limiter la population de l’A. pallidus, ou être en partie responsables du fait, exposé plus haut, que les mâles y sont plus abondants que les femelles, particulièrement à la lumière de l’étude (Lewis, 1993) sur les effets de la variation climatique sur la reproduction. Il serait spécialement important d’effectuer des recherches sur la reproduction et la stabilité de la population de l’A. pallidus au Canada. Les gîtes nocturnes repérés dans la vallée de l’Okanagan étaient surtout des pins ponderosa vivants qui peuvent être détruits par des facteurs naturels ou anthropiques, de sorte que la disponibilité de ces gîtes peut constituer un facteur limitatif pour l’espèce, surtout si une certaine forme de socialité instaurée dans ces gîtes nocturnes aide beaucoup les chauves–souris à capturer plus facilement des proies. Par ailleurs, comme cette espèce recherche ses proies au sol, elle peut subir une pression de prédation importante (exercée notamment par les hiboux et les serpents) dans la vallée de l’Okanagan, autre facteur limitatif naturel potentiel. Cependant, il semble probable que ce soient les gîtes diurnes qui constituent le principal facteur limitatif naturel pour l’espèce au Canada, étant donné la rareté relative constatée d’habitats de reproduction propices (Robertson, 1998; figure 4).

Le facteur limitatif anthropique de loin le plus important pour l’A. pallidus dans la vallée de l’Okanagan est la destruction de son habitat. La population humaine de cette région connaît actuellement une croissance presque exponentielle et se trouve encore grandement accrue l’été par l’essor du tourisme (Northcote, 1996). Selon les projections démographiques, en 2020, un million de personnes vivront dans la région, et plus de deux millions de touristes y séjourneront chaque année. Même actuellement, avec une population d’environ 100 000 résidants et 750 000 touristes par année, la vallée de l’Okanagan se trouve extrêmement fragilisée, particulièrement aux basses altitudes auxquelles les chauves–souris blondes sont limitées (Northcote, 1996; Durance, 1992). La plus grande partie des terres ont été perturbées jusqu’à un certain point, et la majorité des peuplements de graminées cespiteuses indigènes, des milieux humides et des habitats riverains, sont déjà détruits (Durance, 1992).

La construction résidentielle ou commerciale, les activités récréatives (p. ex. le golf et l’escalade) et l’agriculture (p. ex. le pâturage et la fruiticulture) continuent d’empiéter sur les gîtes et les habitats d’alimentation potentiels, ou de les perturber (Durance, 1992; Bailey, 1995). Les gîtes propices à l’établissement de pouponnières sont doublement menacés par les activités de construction, car idéalement, des habitats d’alimentation doivent être disponibles très près des zones renfermant les gîtes de haute qualité (Robertson, 1998). Ainsi, en plus de réduire les ressources alimentaires des chauves–souris blondes, l’expansion agricole et urbaine dans les peuplements dégagés d’armoises ou les prairies clairsemées peuvent les forcer à abandonner des sites de pouponnières de haute qualité. Cette menace est d’autant plus forte que les parcs et les réserves, où le milieu est protégé, ne couvrent que moins de 1 p. 100 de la vallée de l’Okanagan et que les activités d’expansion sur les terres non protégées s’accélèrent (Bailey, 1995).

Le broutage par le bétail peut avoir des effets tant positifs que négatifs sur l’espèce : d’une part, il crée des habitats d’alimentation dégagés et attire les gros coléoptères bousiers (Chapman et al., 1994) dont s’alimente l’A. pallidus (Grindal et al., 1991). D’autre part, il peut réduire la densité et la diversité globales des proies (Chapman et al., 1994), ainsi que la quantité de gîtes nocturnes disponibles si des arbres sont enlevés dans les pâturages.

Les chauves–souris blondes peuvent aussi être menacées par la bioaccumulation de pesticides, dont on fait généralement un usage important dans la fruiticulture, répandue et en expansion dans la vallée de l’Okanagan (Watson, 1997). Les pesticides chimiques s’accumulent principalement dans les tissus adipeux des mammifères (Fenton, 1983), de sorte qu’une population du Nord de chauves–souris des régions tempérées, et particulièrement d’A. pallidus puisqu’elle s’alimente de ravageurs agricoles (Chapman et al., 1994), pourrait se trouver gravement menacée par l’accumulation de pesticides associée au métabolisme des réserves de lipides en période de torpeur et d’hibernation. L’évaluation de l’utilisation de la torpeur par les chauves–souris blondes de la vallée de l’Okanagan au moyen de radioémetteurs thermosensibles permettrait de mieux évaluer l’importance de cette menace.

En Colombie–Britannique, l’Antrozous pallidus est protégé par la Wildlife Act et figure sur la liste rouge du British Columbia Conservation Data Centre comme espèce considérée gravement en péril (critically imperiled, catégorie de risque S1) dans la province. Elle est aussi classée comme espèce de priorité 1 dans le cadre de la South Okanagan Conservation Strategy, à titre d’espèce indigène de la Colombie–Britannique présente seulement dans le sud de la vallée de l’Okanagan (Chapman et al., 1994). Cependant, la chauve–souris blonde n’est pas considérée comme rare dans les États américains de l’Ouest. Depuis 1989, elle ne figure plus sur la liste des espèces préoccupantes du Washington State Department of Fish and Wildlife et est classée dans la catégorie de risque G5 (secure, soit non en péril) à l’échelle mondiale. Rien ne semble indiquer que l’aire de la population canadienne soit séparée de l’aire générale de l’espèce; en 1989, on a signalé la présence de chauves–souris blondes à seulement 50 km au sud de la frontière américaine (Grindal et al., 1991). Ainsi, il est clair que, dans la plus grande partie de son aire de répartition, l’A. pallidus n’est pas en péril.

Cependant, sur le petit territoire canadien où il est présent, un certain nombre de menaces pèsent sur l’A. pallidus. Il est aujourd’hui pratiquement certain qu’il y a une population résidante de chauves–souris blondes dans la vallée de l’Okanagan. L’espèce y est signalée depuis près de 70 ans, et les données récentes infirment l’hypothèse de Balcombe (1988) selon laquelle elle pourrait être disparue du Canada. De plus, on dispose actuellement de données probantes indiquant la présence de femelles résidantes et d’une population reproductrice dans la région. Cependant, la ségrégation sexuelle peut y accroître le risque de disparition de l’espèce, car elle augmente le nombre de problèmes de conservation qui doivent être réglés pour que soient satisfaits les besoins en matière d’habitat des mâles et des femelles, la priorité devant toutefois clairement être accordée aux besoins des femelles.

Divers facteurs mettent en péril l’A. pallidus au Canada. Premièrement, les trois types d’habitat dont il a besoin (habitat d’alimentation, et gîtes diurnes et nocturnes) sont considérablement menacés dans la vallée de l’Okanagan en raison de la croissance démographique extrêmement rapide. Comme seule une très faible quantité d’habitat est protégée adéquatement dans des parcs et des réserves, la croissance démographique a déjà entraîné une destruction considérable de l’habitat, liée à l’expansion des zones habitées, des activités récréatives et de l’agriculture, particulièrement dans les régions de basse altitude où les chauves–souris blondes sont confinées (Durance 1992; Bailey 1995). Les gîtes diurnes propices à l’établissement de pouponnières, qui constituent probablement le type d’habitat le plus important pour la survie d’une population, sont surtout vulnérables parce qu’ils sont généralement rares (Robertson, 1998; figure 4), puisque ceux qui se trouvent dans des falaises et des parois rocheuses, bien que relativement protégés, peuvent tout de même être détruits ou perturbés par l’expansion et les activités récréatives, et parce que les chauves–souris blondes préfèrent fortement les gîtes qui se trouvent très près de sites d’alimentation, et vice versa (Robertson, 1998). Cela signifie que la perte d’habitats d’alimentation à proximité de gîtes potentiels réduira la possibilité pour l’A. pallidus de s’alimenter, mais aussi de trouver des gîtes convenables.

Deuxièmement, toujours en ce qui concerne la perte d’habitat, Robertson (1998) signale dans les indications accompagnant son modèle d’évaluation de l’habitat que, parmi les 28 mentions de l’espèce, on compte deux chauves–souris tuées par un chat, et une trouvée morte et une autre agonisante sans causes connues dans des zones résidentielles. Avec la continuation de la construction résidentielle dans les peuplements dégagés d’armoises à basse altitude dans la vallée, non seulement les habitats d’alimentation et les gîtes seront perturbés ou détruits, mais la mortalité pourrait s’accroître chez les chauves–souris blondes à cause des caractéristiques propres aux collectivités résidentielles. Ainsi, il pourrait notamment y avoir accroissement de la prédation par les chats domestiques (particulièrement dangereux pour l’A. pallidus du fait qu’il s’alimente au sol), de la bioaccumulation des pesticides employés sur les pelouses et du nombre d’animaux tués par des véhicules automobiles.

Enfin, bien que les effets de l’utilisation intensive des pesticides, commune en fruiticulture, n’aient pas été étudiés adéquatement pour cette espèce, il est très possible que, dans cette zone relativement plus froide de son aire de répartition, la bioaccumulation de ces substances entraîne chez la chauve–souris blonde une mortalité plus élevée découlant de son utilisation accrue de la torpeur, et donc de ses réserves lipidiques. La vérification de cette hypothèse devrait être une priorité dans les études futures effectuées dans la vallée de l’Okanagan.

Les populations qui se trouvent aux limites de l’aire de répartition de leur espèce sont particulièrement intéressantes pour les écologistes et les conservationnistes, parce que c’est là que les pressions de sélection peuvent être les plus fortes et induire diversification et spéciation. De plus, les initiatives de conservation doivent de plus en plus mettre l’accent sur la conservation des populations que les activités humaines ont déjà refoulées dans des habitats suboptimaux. Ainsi, l’étude de l’écologie des espèces dans les endroits présentant pour elles des conditions limites est importante pour l’élaboration de stratégies de conservation efficaces (Chapman et al., 1994).

La chauve–souris blonde satisfait aux critères du COSEPAC pour les espèces en voie de disparition en raison de sa faible population et des menaces multiples qui pèsent sur son habitat. Cependant, comme il existe une probabilité suffisamment élevée que des chauves–souris blondes de populations américaines plus stables immigrent au Canada, il paraît indiqué d’attribuer à l’A. pallidus le statut d’espèce menacée au Canada.

Nous tenons à remercier Dave Nagorsen, Mark Brigham, Susan Lewis, Marco Festa–Bianchet, Jan Murie, Chuck Dauphiné et Rod Willis pour leurs précieux commentaires. Robert Barclay, Mike Sarell, le British Columbia Conservation Data Centre et Ted Lea, British Columbia Environment, nous ont communiqué des données sur les occurrences de la chauve–souris blonde dans la vallée de l’Okanagan, et Orville Dyer, du bureau de Penticton British Columbia Environment, nous a fourni la carte de qualité de l’habitat et nous a aidé à communiquer avec diverses personnes–ressources. La rédaction de ce rapport a été coordonnée par le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada et financée par le Service canadien de la faune.

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Craig Willis détient un B.Sc. en biologie de la Queen’s University et une M. Sc. du Department of Clinical Studies de la University of Guelph. Il a commencé à s’intéresser aux chauves–souris dans la vallée de l’Okanagan dans le cadre d’un cours donné sur le terrain par Brock Fenton, Robert Barclay et Mark Brigham, trois des plus grands chercheurs spécialistes de ces mammifères au Canada. Il poursuit dans le laboratoire de M. Brigham (University of Regina) des études doctorales sur l’utilisation de la torpeur par les chauves–souris des régions tempérées qui trouvent leur gîtes dans des cavités d’arbres.

Marcy Bast détient un B.Sc. en biologie de la University of Regina et une M. Sc. du Department of Botany de la University of Guelph, où elle a étudié les profils de croissance de l’épinette noire dans les forêts boréales du Nord de l’Ontario. Son intérêt pour les chauves–souris a aussi pris naissance avec MM. Fenton, Barclay et Brigham dans la vallée de l’Okanagan. Elle est actuellement gestionnaire des affaires environnementales au ministère des Transports des Territoires du Nord–Ouest.


1 Jusqu'en 1990, la catégorie de risque « espèce rare » du COSEPAC désignait une espèce qui, en raison de ses caractéristiques biologiques, ou du fait qu’elle se trouve à la limite de son aire de répartition ou pour toute autre raison, était présente au Canada seulement en petit nombre ou dans des zones très restreintes, mais qui n’était pas menacée. Cette catégorie est devenue la catégorie « espèce vulnérable » en 1990 et, depuis 2000, on parle plutôt d’« espèce préoccupante ».

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